Frédéric
Pottecher, qui a souvent eu l'occasion de séjourner dans
notre commune, chez Arlette Gardner* à Montmardelin, est
mort le mardi 13 novembre. Lire l'article ci-dessous.
"LE MONDE" - 14.11.01 - 13h12
Frédéric Pottecher, journaliste, chroniqueur judiciaire
Avec frédéric pottecher, mort à Paris, mardi
13 novembre, disparaît le dernier des "monstres sacrés"
de la chronique judiciaire qui compta au lendemain de la deuxième
guerre mondiale des personnages aussi dissemblables que purent être
une Madeleine Jacob ou un Pierre Scize, mais qu'unissait une commune
passion du prétoire et des spectacles qui pouvaient s'y donner.
Curieusement, ils avaient tous éprouvé dans leur jeune
âge une sorte de fascination pour le théâtre.
Ils en connaissaient les chefs-d'uvre, ils en avaient quelquefois
rencontré et approché les maîtres. Et devant
les drames, mais aussi, à l'occasion, les vaudevilles, qui
se donnaient jour après jour dans les salles d'audience,
ils eurent souvent la tentation de réagir en critiques portant
leur appréciation selon leur humeur ou leur bonheur. Féroces
ou amusés, ils avaient "au Palais" leurs lecteurs
assidus, réjouissant les uns, exaspérant les autres.
Il y avait pour eux, en ces temps-là, toutes les indulgences
dès lors que le talent les habitait. Le "brin de plume"
valait "imprimatur".
Dans ce milieu si particulier, Frédéric Pottecher
est parvenu relativement tard, porté par ces coïncidences
qu'on appelle aussi les hasards de la vie. A l'origine, et avant
même son entrée en journalisme, ce qui comptera toujours
chez lui, ce sera la terre natale, cet "Est", avec Bussang,
"de ce côté-ci des Vosges", comme on disait
pour avoir échappé à l'annexion consécutive
au désastre de 1870. Les Pottecher ont vécu là
leur histoire. Curieux de tout, le grand-père courait déjà
les routes. Après lui, l'oncle, Maurice Pottecher, à
la tête d'une entreprise, modeste de taille mais florissante,
se prit de cette passion du théâtre dont héritera
le neveu. Ainsi naît, en lisière de la forêt,
le Théâtre du peuple, aboutissement tout à la
fois d'un rêve d'humanisme, d'une lecture de Michelet, d'une
ambition sociale et de quelques fortes croyances qui font que l'on
est dreyfusard d'instinct. Jusqu'à ses derniers jours, Frédéric
Pottecher restera ému autant qu'amusé par ces grandes
agitations.
SES CHERS "CABOTS"
C'est pourquoi il se sent à sa façon un privilégié
pour avoir ainsi vécu ses jeunes années dans la familiarité
de l'uvre de Lugné-Poe, des Pitoëff, de Jean-Louis
Barrault à ses débuts, comme de Pierre Richard Wilm,
jeune et fidèle dieu de Bussang, avant d'en devenir un discret
patriarche. Durant toute sa vie Frédéric Pottecher
gardera pour ses chers "cabots", pour leurs tics et leurs
excès, un goût qui tournait à l'attendrissement.
Ainsi fut pour une bonne part son avant-guerre. Pour le reste, un
journaliste commence à s'affirmer à Comdia,
puis à Paris-Soir, dans le tumulte et le bouillonnement des
passions qui annoncent la montée des périls.
Tout naturellement Frédéric Pottecher choisit son
camp, celui de l'antifascisme. Les "affaires" de l'époque
sont le plus souvent des drames, des affrontements sans merci. C'est
l'assassinat des frères Rossetti par les fascistes italiens.
C'est une affaire Stavisky suivie d'une "affaire Prince".
Antimunichois, Pottecher n'échappera pas à sa "drôle
de guerre". Après quoi, sous le nom de Jean des Vosges,
il apostrophera Vichy et la collaboration au micro de Radio-Levant.
C'est à la fin de 1944, à la radio libérée,
que paraît maintenant le plus récent Frédéric
Pottecher. Le voici désormais "au Palais", et il
n'y passera pas inaperçu. Le 23 juillet 1945, dans la salle
archicomble de la première chambre de la cour d'appel de
Paris, il conquiert de haute lutte son coin de pupitre pour voir
paraître, devant la Haute Cour de justice, Philippe Pétain,
ex-chef de l'Etat français. Jour après jour, il suit
ces débats plus ou moins bien menés et dont il livrera
en 1980 une relation difficile tant est complexe cette histoire
de la collaboration que l'on n'en finit pas d'écrire.
DES COUPS DE MAÎTRE
Dès lors, un chroniqueur judiciaire est né. Lui aussi
voudra pour ses coups d'essai des coups de maître. Le prétoire
lui laisse l'embarras des choix et des genres. Il y aura ces "grands
jours" qui sont autant de points de repère d'une histoire
de France durant les décennies de la décolonisation
: encore des violences, des putschs, des barricades. On juge en
Tunisie, Pottecher y est. On juge au Maroc des rebelles qui bientôt
seront ministres, il est là. Mais on juge aussi de pauvres
hommes ou femmes dont l'histoire, sans majuscule, raconte les misères
ou les passions. Pottecher est toujours là.
Sous ses yeux passent des êtres qui le ravissent ou l'exaspèrent.
Homme de radio, sa voix - et quelle voix ! - s'apparente au pinceau
du peintre pour faire entendre à ceux qui n'ont pu être
là ce qui s'est dit et comment cela fut dit. Chaque soir,
durant ces quelques minutes que lui consentent la radio, la télévision,
il est là, jouant tous les personnages, les faisant dialoguer,
crier ou balbutier. Et l'on retrouve l'homme de théâtre.
Mais il s'agit bien de théâtre quand une peine de mort
est demandée, quand elle est prononcée !
Alors paraît l'émouvant Pottecher, le chroniqueur tout
feu tout flamme qui s'engage ouvertement. C'est ce Pottecher-là
qui monte au créneau pour, micro déposé, rejoindre
le comité pour la révision du procès de Jean-Marie
Devaux et obtenir un second procès qui s'achèvera
par un acquittement. Jamais il ne restera indifférent à
l'appel du plus humble pour lequel on lui demandera de s'engager.
Cela ne va pas sans déboires avec "ces messieurs de
la télévision", ou du moins certains d'entre
eux. Il paiera au prix fort ses refus de "faire gris"
que lui conseillait un directeur. Et l'antenne lui fut même
carrément refusée au premier jour du procès
des accusés de l'affaire Ben Barka. Il ne baissera pas les
bras. Il obtiendra même de l'ORTF des dommages et intérêts
pour une mise au placard qu'il tenait pour une atteinte à
sa notoriété.
Ainsi a traversé son siècle un homme qui, le jour
de ses quatre-vingt-deux ans, bloc-notes en main, fidèle
au poste, tenait encore sa place de journaliste au procès
de Klaus Barbie.
Ce texte rédigé par notre ancien collaborateur, mort
le 12 juin 2001, a été réactualisé.
Jean-Marc Théolleyre
*Arlette Gardner, ancienne journaliste et écrivain, l'a souvent
retrouvé lorsqu'elle couvrait les grands procès de
l'après guerre. Cette amitié a duré jusqu'à
la fin et Frédéric Pottecher aimait séjourner
à Montmardelin.
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